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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 20:20


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Octobre 1994


ROY  DUPUIS  NATURE


Par Ann Bois 




À peine met-il les pieds dans l'industrie du showbiz québécois que Roy Dupuis roule sa bosse d'acteur à un rythme effréné. Entre deux prises, il prend quand même le temps de réfléchir sur son métier. Voici ses propos.


Caprices de la technologie moderne et bénédiction des dieux, il aura fallu deux entrevues pour parvenir à fixer la voix de Roy Dupuis sur bande magnétique. Deux délectables rencontres pour le regarder bouger quand la caméra n'est pas là pour traquer ses moindres gestes, et l'entendre parler sans le support d'un scénario.


Une liste de questions corsées sous le bras - histoire de me blinder contre son silence légendaire -, il me faudra bientôt admettre que la première rencontre s'est soldée par une consécution de jolies surprises. À commencer par ce premier contact à la cafétéria improvisée des studios de la Cité du Havre, lieu du tournage de la minisérie Million Dollar Babies. À peine entrée dans la pièce, je l'aperçois au fond de la salle, abandonnant un appétissant homard-mayonnaise, sans se départir de son franc sourire qui laissait présager que tout irait pour le mieux. Puis, me dirigeant poliment vers sa loge, il me souffle gentiment: «Ça va être plus facile pour parler».


Une fois le verbiage de circonstance terminé, voire un commentaire sur l'agréable sillage que laissait traîner son Escape dans les corridors de la Cité, on plonge tout de go dans le vif du sujet. Son rapport au métier d'acteur, sa méthode de travail, son point de vue sur les personnages qu'il incarne, question d'aller au-delà de sa belle gueule et de comprendre de quoi se constitue le mythe.


Derrière ce regard perçant qui a séduit toutes les femmes du Québec, rivées qu'elles étaient au petit écran pour l'admirer sous les traits d'Ovila (Les filles de Caleb), d'Alex (Cap Tourmente) et de Michel Gagné (Scoop I, II et III), puis au grand écran, sous ceux d'Yves (Being at Home with Claude), une des prestations les plus troublantes de sa carrière; derrière ces yeux émeraude, se cache un homme d'une simplicité désarmante. Secret de Polichinelle, Roy Dupuis est un introverti à qui les mots ne servent à rien. Chez lui, tout se joue sur le plan de la pulsion instinctive qui commande des gestes précis. Dire de lui que c'est la passion à l'état brut serait tomber dans des lieux communs.


Trêve de mutisme, Roy Dupuis se sera tout de même montré étonnamment charmant durant nos rencontres. Il aura présenté une façade peu connue: celle d'un homme mûr depuis peu et qui éprouve un plaisir certain à pratiquer la courtoisie.


Élevé au statut de vedette presque du jour au lendemain sans vraiment avoir eu le temps de prendre une distance critique face à ce qui lui arrivait, Dupuis avoue qu' «au début, ç'a été tough». La trentaine amorcée depuis deux ans, voilà que l'heure des remises en question a déjà sonné.


«En fait, ça ne fait pas longtemps que j'ai réellement choisi d'être acteur. Je suis entré par hasard à l'École Nationale et par hasard dans le métier. Puis tout a déboulé très vite pour moi. Un contrat n'attendait pas l'autre. J'aimais ça. Mais il y avait des aspects que j'aimais pas mal moins, comme la production, les entrevues. Je n'ai jamais vraiment eu le temps de m'arrêter! Mais je suppose que si je m'étais arrêté, je me serais ennuyé.»



La  vraie  nature  d'un  acteur


Roy Dupuis est la métaphore vivante de son coin de pays, Amos – «la mamelle gelée», comme il se complaît à l'appeler. Il est le produit d'un climat hostile et d'une nature imposante, qui n'a de cesse de vous rappeler que devant la force des éléments vous n'êtes rien du tout. Il respire l'aridité d'étés trop courts, en dépit desquels la vie s'acharne à poursuivre sa course, et la poésie de la glace qui s'obstine à ne pas céder à un soleil d'ailleurs trop avare. Dents blanches comme un givre de février, peau matée par le vent qui le fouette lorsqu'il circule en Harley, Roy Dupuis se veut avant tout un gars de nature. «Pour moi, les vrais moments de liberté, c'est quand je roule en moto; quand je voyage. J'aime la forêt, mais aussi la mer, les plages de roches, les plages sauvages où personnes ne veut aller.»


Autre forme de liberté, la lecture: «C'est l'école qui m'a ouvert à la lecture; je trouve ça génial de me perdre dans un livre». Son auteur de prédilection? Le regard s'allume, l'adrénaline fuse à la seule évocation du nom: «J'ai lu tout Dostoïevski. C'est un auteur que j'aime profondément; j'admire sa façon de décrire le comportement humain.»


La réaction est simple, nette, dénuée de tout commentaire superflu. Économie du verbe, mépris de la complaisance, Roy Dupuis n'est pas du genre à s'écouter parler. Préférant à l'insolence de la parole l'audace du regard, il ponctue son discours de coups de rétine qui viennent appuyer ses propos. Avis aux intéressées: sans la complicité du regard, aucun contact n'est possible avec lui.


Pris  entre  deux  prises


Prise deux, fin fond de sa roulotte située rue Greene, en plein décor de Scoop III. Cette journée-là, Roy est un peu moins en forme. Il a la bougeotte et ne tient pas en place deux secondes. On dirait Michel Gagné. Il y a pourtant 24 heures à peine que s'est terminé le tournage de Million Dollar Babies, encore moins longtemps que s'est terminé le wrap party. Pourtant, il a répondu au call de la maquilleuse qui le voulait sur le plateau à cinq heures du mat. Mais pas question de bougonner pour autant, pas question de jouer les vedettes hyper sollicitées.


Et le défi de quitter un personnage pour en réintégrer un autre? «C'est pas trop compliqué, Scoop, ça fait quand même trois ans que je le fais. C’est pas si dur que ça. Mais il faut quand même dire que quand j'endosse un personnage à titre d'acteur, je plonge avec.»


Ces propos nous mènent à Oliva Dionne, le personnage qu'interprète Roy Dupuis dans Million Dollar Babies, la minisérie produite par Bernard Zukerman et Productions CINAR pour le compte des réseaux CBC et CBS. Le film raconte l'histoire tragique des quintuplées Dionne, autour de qui s'est constituée une industrie touristique de plus de 500 millions de $ CAN, situation tragique dont elles n'ont gardé que d'amers souvenirs.


Le film commence en 1934, avec la naissance des quintuplées. Le père Dionne - qu'interprète Dupuis - est un pauvre agriculteur qui essaie tant bien que mal de subvenir aux besoins de sa famille, dans un petit village reculé du nord de l'Ontario. Déconcerté par l'arrivée de quintuplées (il est déjà père de cinq enfants), il serait prêt à accepter le support financier des Américains à la grande indignation des médias de l'époque qui s'empressent de le dépeindre comme un père indigne.


«En fait, il était une victime dans cette histoire-là, comme la majorité des gens autour, d'ailleurs. Ils ont subi ce qui leur arrivait. "Popa Dionne" était un bon père qui faisait ce qu'il pouvait pour élever sa famille. Quand les Américains lui ont demandé d'emmener ses enfants à Chicago pour les montrer dans une grande foire, il est quand même allé consulter le curé... et le curé lui a dit que tout était parfait.» 


L'histoire des soeurs Dionne, avec tous ses rebondissements révoltants, tous ses scabreux détails, rappelle d'une certaine façon celle des enfants de Duplessis; «ce sont les vraies victimes de cette histoire-là».


Le  blues  d'un  acteur


Marina Orsini confiait à Clin d'oeil, il y a déjà un moment, que Roy Dupuis était l'acteur le plus intègre qu'elle connaissait; celui dont elle admirait le plus la technique. À son sens, il n'y avait que Robert de Niro à qui on pouvait daigner le comparer. Accueillant la comparaison avec indifférence, Dupuis préfère laisser entendre qu'il travaille beaucoup et qu'il essaie de se faire confiance, surtout lorsqu'il doit puiser une émotion au fond de lui-même, cela en dépit du fait que, dans la vraie vie, l'assurance n'est pas toujours de la partie.
 

«Et puis, en tournage, j'essaie de ne pas tout placer du premier coup, de me ménager pour la bonne prise. Je ne sais pas si c'est du method acting (technique mise au point par le Actor's Studio de New York); il faudrait que quelqu'un me regarde aller, puis me dise: "O.K., dans ce genre de scène-là, tu travailles comme ça, dans l'autre genre, tu travailles comme ça." En fait, tout ce que je veux c'est créer une ambiance et trouver un ton sobre; un ton juste.»


«Dernièrement encore, dans Million Dollar Babies, j'ai travaillé avec des enfants extraordinaires! Et ça m'a vraiment remis en contact avec l'essentiel du métier: les échanges humains, tout le plaisir qu'on peut avoir à être ensemble sur un plateau. Ouais... Le fun... Durant le tournage de Million Dollar Babies, je me suis rappelé que c'est pour le fun que je fais ce métier-là. Sans fun, il n'y a pas de vie possible!».


En l'écoutant parler avec autant de ferveur, je ne peux faire autrement que de me reporter à Pierre-Paul, rôle qu'il défend avec brio dans C'était le 12 du 12 et Chili avait les blues. Une prestation sans faille qui nous présente un Roy rasé de près, soigné, et d'une beauté foudroyante. «Dans ce film-là, Roy est plus beau que jamais!», clame une Lucie Laurier qui, en plus de détenir le rôle-titre, est fière comme jamais de revenir au grand écran pour le partager avec l'acteur le plus désirable du Québec! Après trois rudes semaines de répétitions, Lucie Laurier avoue que le travail a été très dur. «Parce que c'est un travail sur moi qu'il a fallu faire. Mais Roy me mettait en confiance; il m'aidait à trouver les émotions nécessaires.»


Réalisé par Charles Binamé d'après le brillant scénario de José Fréchette - dont le premier roman Le père de Lisa, publié en 1987, a connu un franc succès - Chili, tel qu'on nomme le film dans l'industrie, a été tourné presque exclusivement en gros plans. Film d'une grande finesse, il a demandé de la part des acteurs une grande présence, une précision de jeu qui laisse peu de place aux erreurs de registre. Et le défi a été relevé! En plus d'une performance brillante livrée par Lucie Laurier, la prestation de Roy Dupuis séduit follement. Pierre-Paul, poète à sa façon, vend des aspirateurs et rêve à un monde meilleur.


Coincé dans une gare bondée, paralysée par une tempête de neige, il surprend une jeune fille dans les toilettes, un pistolet dans la bouche. Il en éprouve un choc, suivi d'un sentiment de révolte contre l'indifférence des voyageurs et du personnel de la gare qui ne croit pas à son histoire de jeune fille suicidaire... Chili? Qui sait? Seule certitude, c'est que les trois heures passées avec la collégienne - trois heures pendant lesquelles Pierre-Paul et la jeune séductrice se parlent, se poursuivent, se touchent et finissent par s'aimer - constitueront sans doute la plus jolie rencontre de leur vie.


«Il y en a qui disent que le cinéma est la dernière grande découverte; celle qui a le plus changé l'humanité. Parce que le cinéma a donné à l'homme la possibilité de se voir tel qu'il est, de capter des moments de réalité. Ça a changé beaucoup de choses, parce qu'on ne peut plus se percevoir de la même façon quand on a vu ce qu'on est vraiment.»  (Silence)


À ce moment, on arrête la bobine, car rien de plus beau ne sortira de cette entrevue; j'aurais eu envie de répliquer que les entrevues réussies sont comme le bon cinéma: qu'elles nous offrent, dans des moments comme ceux-là, des êtres dans tout ce qu'ils sont de plus vrai, et par conséquent de plus beau. Mais à en juger par le regard qu'il m'a laissé poser sur lui, à l'instant où j'arrêtais mon appareil, Roy Dupuis m'a fait comprendre que ça aurait été redondant...
 


Source:
Article Magazine Clin d'œil N° 172 

 

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Published by TeamRDE - dans Rencontres et entrevues