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15 janvier 2010 5 15 /01 /janvier /2010 15:11


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21 octobre 1995


Le  retour  de  l'enfant  prodige


Par Sylvain Blanchard 




La télé, avec la série sur les jumelles Dionne, et le cinéma, avec la sortie de 
Aire libre et de Screamers, font à nouveau toute la place à Roy Dupuis.
 

Quand il était petit, Roy Dupuis eut l'idée un après-midi de réunir ses camarades non loin de la maison où il habitait, à Amos, en Abitibi. C'était l'été et il les avait tous amenés dans le bois pour leur montrer un arbre, très grand, sur lequel, tout en haut, il rêvait de construire «une grosse cabane». Les yeux brillants, le petit Roy expliquait son plan en gesticulant dans tous les sens, piaffant d'impatience à l'idée de se retrouver là-haut avec le marteau de son père. «Es-tu malade, Roy, maudit, c'est ben trop haut, on va se tuer. Oublie ça...» On l'a donc planté là. Et il l'a bâtie tout seul, sa cabane.
 

Il en a été de même avec sa vie. Roy Dupuis, qui porte le même nom que son père né le jour de la Fête des Rois, a aujourd'hui 32 ans et s'apprête à nouveau, dans quelques semaines sinon quelques mois, à réunir ses amis pour leur parler d'un autre de ses projets, au Pérou celui-là: escalader le Mont Coropuna - 6600 mètres d'altitude, à peine 2000 de moins que l'Everest! Cette fois, avant même d'ouvrir la bouche, il connaît la réponse, mais il va demander quand même, juste pour l'entendre une autre fois: «Roy, merde, es-tu viré fou?»


«Je me retrouve souvent tout seul quand je veux faire quelque chose, lance-t-il par dessus la fumée de sa cigarette. C'était comme ça quand j'étais petit, c'est encore comme ça aujourd'hui. Je suis exigeant envers moi-même et suis très dur envers ceux qui recherchent continuellement la facilité.»
 

Choisir  le  rêve
 

Lui qui avait l'habitude d'écumer les bars et de partir trois jours sur la go en s'arrêtant au Rose Bowl pour y jouer une partie de quilles, a passé l'été à voyager, à jouer au golf et à regarder le canal D, fasciné notamment par les reportages... sur les requins.
 

Actuellement, Junior prépare la sortie de deux films dans lesquels il est en vedette - Aire Libre, une coproduction avec le Venezuela, le Québec et la France, et Screamers, un film de science-fiction canado-américain qui raconte l'histoire de deux clans en guerre pour le contrôle de l'exploitation minière sur une lointaine planète. «Je viens de le voir, c'est bon.»
 

Pour le reste, Roy attend. Il attend, dit-il, que le monde se remette à rêver. Pourtant, les scénarios pleuvent sur le bureau de son agent. «Je fais des choix, dit-il. Ma carrière m'a apporté des joies et des bons moments, mais encore rien dont je sois entièrement satisfait. Parmi tout ce qu'on me propose actuellement, absolument rien ne me jette à terre. À 32 ans, j'ai envie de travailler avec quelqu'un qui rêve et qui a envie d'explorer son imaginaire avec audace. J'ai besoin d'aller voir ailleurs, de sentir autre chose, de goûter autre chose. J'en ai assez du réalisme. Ça ne mène nulle part.»
 

Pierre Houle, un des réalisateurs de Scoop, dit qu'il a joué le rôle du journaliste Michel Gagné «sur le pilote automatique», que l'absence de défi lui a parfois fait trouver le temps long sur le plateau. Lui n'a rien à redire. «Que le public apprenne à connaître l'univers des médias et des journalistes grâce à Scoop, tant mieux, mais moi comme acteur ça ne me suffit pas, ça ne me suffit plus. J'ai le goût de jouer quelque chose qui n'a encore jamais été joué. Les gens ne rêvent plus, c'est très grave.»
 

Des rêves, il en a, lui. Un surtout. «Je veux imaginer, écrire, réaliser et jouer dans mon propre film.» Il veut monter le projet de A à Z, sentir ce que c'est que de plonger dans le vide et risquer sa réputation. Il ignore encore ce qu'il fera ou ce qu'il dira exactement, mais chose certaine, dit-il, «ce sera original, ce sera neuf.»
 

Roy Dupuis s'est construit lui-même en ne se fiant qu'à une chose: son instinct. Si certains ont tendance à intellectualiser leur rôle, lui, c'est en fouillant dans son existence qu'il insuffle à ses personnages l'intensité animale et la justesse d'expression qui ont fait de lui le comédien le plus en vue de sa génération. «Quand il s'amène sur un plateau, il arrive avec son coffre d'outils, dit le réalisateur Jean Beaudin. Et crois-moi, son coffre, il est plein à craquer.»
 

Autre  chose
 

Beaudin, qui le connaît bien pour avoir tourné trois ans avec lui Les Filles de Caleb, et Pierre Houle, qui l'a côtoyé sur le plateau de Scoop, constatent que la gloire et le succès n'ont pas encore réussi à le changer, qu'il demeure cet être secret et solitaire pour qui communiquer restera toujours moins intéressant que faire des choses. «Je n'ai rien à apprendre, j'ai des choses à faire, c'est ce que j'ai toujours dit.» «Et il veut tout faire, tout essayer», ajoute son ami Jean L'Italien, avec lequel il a fait les 400 coups.


Il a beau être l'une des plus grandes stars du Québec, aimer passionnément son métier, Roy Dupuis croit malgré tout de plus en plus qu'il est en train de passer à côté de sa vie, que quoi qu'il fasse et quoi qu'il arrive, il s'enfonce dans la mauvaise direction.
 

«On est tous en train de manquer le bateau: moi, toi, tout le monde. J'ai l'impression - même si c'est très difficile à expliquer parce que c'est encore abstrait dans ma tête - qu'il y a quelque chose de très important à comprendre et à faire ici, mais que ça nous échappe complètement. C'est un sentiment très fort que j'ai, l'impression que la vie c'est autre chose. Quoi au juste? Je l'ignore. J'aimerais rencontrer Dieu pour lui demander!»
 

Depuis que Ovila Pronovost lui a valu l'admiration quasi hystérique des trois quarts de la gent féminine québécoise, on a dit et répété qu'il aimait se défoncer, qu'il buvait beaucoup, et que sa belle gueule, son talent et son jeu rappelaient peut-être le grand Brando, mais que ses virées, elles, montraient à quel point on avait plutôt affaire à un monument d'irresponsabilité. Lui qui a pourtant l'habitude de clouer le bec des frustrés et des jaloux, hausse les épaules. Et vide son sac.


«J'ai arrêté de boire en janvier. Complètement. J'aime encore fêter, mais les excès et la démesure ont fini par me rendre malheureux. Je suis une thérapie aussi. Depuis deux ans. Quand je peux, j'y vais deux fois par semaine. C'est là que je fais mes plus beaux voyages et que je constate jusqu'à quel point mon cerveau a oublié des choses.»
 

«C'est un homme profondément blessé, croit Jean Beaudin. Il en a bavé, plus jeune, j'en suis persuadé. Cette profondeur qu'il a à l'écran, ce regard troublé et troublant, ce n'est pas du jeu, c'est son âme.» Jamais n'a-t-il osé aborder directement le sujet avec lui. «Par respect, dit-il, mais aussi parce que je sais qu'il faut travailler fort pour faire parler ce gars-là.»


«Quelque chose le brûle en dedans, c'est évident, ajoute Pierre Houle. Mais ses batailles, lui seul les connaît.» Roy Dupuis, lui, dit qu'il n'est pas encore prêt à parler de ça, qu'il commence à peine à discuter de la question avec ses proches, mais il le fait quand même. En mesurant ses mots.


«Disons que j'ai des insatisfactions profondes par rapport au modèle que j'ai eu, enfant, et que cela a créé un vide qui n'a cessé de grandir et de me faire mal au fur et à mesure que j'ai pris conscience de ce qui était arrivé.»
 

Il se limitera à dire que sa mère et lui ont quitté le paternel quand il avait 14 ans, «sans l'avertir» («On serait encore là sinon»), qu'il ne l'a guère revu depuis, mais que «tranquillement on essaie de se rapprocher pour recréer des liens.»


«Ce qui compte pour moi actuellement, c'est de continuer à maintenir cet équilibre entre mes pulsions et la discipline que je tente de m'imposer pour affronter la réalité sans m'engourdir.»
 

Une décision inspirée en partie par l'amour qui colore maintenant sa vie, au grand plaisir de son ami, Jean L'Italien, qui ne l'a «jamais vu dans un état pareil». «Il n'a plus cet instinct de mort qui caractérisait si souvent son comportement auparavant, observe-t-il. Ça reste une bombe et un hypersensible, mais l'amour l'a calmé. Je pense aussi qu'il a beaucoup moins de choses à prouver.»
 

«Faux! réplique Roy, l'oeil foudroyant. J'ai encore plein de choses à me prouver à moi! Vrai, par contre, que je me sens un peu mieux dans ma peau.»


Pas encore un homme heureux, dit-il, mais «heureux de plus en plus souvent.»
 


Source:
Archives Le Devoir - www.ledevoir.com 
 
 
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Published by TeamRDE - dans Rencontres et entrevues